Les lobbies ont saboté la Convention citoyenne pour le climat, avec l'accord des politiques corrompus ! Leur comportement ressemble pourtant à une certaine peur panique face aux citoyens engagés pour le climat ! A suivre...
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8 février 2021 / Gaspard d’Allens (Reporterre)
Automobile, aérien, agrochimie... « Les industriels ont mobilisé tous les leviers d’influence à leur disposition » pour torpiller le travail de la Convention citoyenne pour le climat, démontre l’Observatoire des multinationales. Grâce à d’éminents professionnels de la communication, ils ont converti moult politiques et bénéficié de relais médiatiques.
« Les lobbies industriels ont mené une guerre de l’ombre contre la Convention climat. » C’est ce que démontre l’Observatoire des multinationales dans un rapport rendu public lundi 8 février. Au fil des pages, les auteurs retracent « l’offensive acharnée » des secteurs les plus concernés par les propositions des citoyens et des citoyennes comme l’automobile, l’aérien, l’agrochimie ou la publicité.
« Les industriels ont mobilisé tous les leviers d’influence à leur disposition », notent les journalistes à l’origine du rapport. Rassemblés dans « une large coalition de conservatismes et d’intérêts établis », ils ont réussi leur travail de sape. L’influence qu’ils ont eue sur l’exécutif et la bataille qu’ils ont menée cet automne expliquent en grande partie le détricotage des 149 mesures proposées par les citoyennes et citoyens tirés au sort.
À l’origine, comme le rappelait son garant Cyril Dion dans Reporterre, la Convention citoyenne avait été conçue pour ouvrir les débats et éviter « l’entre-soi du système oligarchique ». Le retour de bâton n’en est que plus brutal. Le projet de loi climat censé retranscrire dans la loi les propositions des citoyens a été largement aseptisé et édulcoré : des mesures ont été abandonnées, d’autres ont vu leur échéance repoussée ou leur portée réduite. Pour de nombreux experts, le texte ne répondra pas à l’objectif de départ, à savoir la baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Le projet de loi sera présenté le 10 février en Conseil des ministres avant un examen à l’Assemblée nationale en mars.
À son lancement, en 2019, la Convention climat n’avait pas soulevé les foules ni braqué les projecteurs. Les industriels l’avaient magnifiquement ignoré, sans sentir la menace. C’est à partir de juin 2020, lorsque les citoyens ont présenté leurs mesures transformatrices qu’ils ont pris peur et commencé à se mobiliser. Ils ont dénoncé des propositions « liberticides » ou relevant de « l’écologie punitive ». En creux, « le principe même d’une régulation publique de l’activité économique au nom du climat était remis en cause », analyse l’Observatoire des multinationales.
Pour l’ONG, cette séquence ouvre une nouvelle étape dans la bataille climatique. Si les objectifs généraux de réduction des émissions de CO2 sont désormais acceptés, le combat s’est déplacé sur les modalités de cette transition. « Les industries veulent maintenir un laisser-faire total quant aux moyens pour les atteindre […] Ils nient ou minimisent leur responsabilité […] et se posent en victime », écrivent les auteurs du rapport. Après « l’agribashing », ils crient maintenant à l’« aviation-bashing », l’« auto-bashing », le « pub-bashing », voire à l’« entreprise-bashing ».
Concrètement, ces industriels ont usé de tous les leviers disponibles pour décrédibiliser la Convention. Ils se sont mobilisés de manière coordonnée et n’ont pas lésiné sur l’achat de services de professionnels de la communication. Les cabinets de conseil Boury Tallon ou Batout Guilbaud ont été très sollicités sur le dossier de la Convention citoyenne, notamment par Air France ou par le groupe chimique allemand BASF.
Cet automne, le Tout-Paris du lobbying était en ébullition : organisations patronales, avocats d’affaires, groupes de réflexion libéraux... Chacun a été mis à contribution pour produire des contre-argumentaires ou interpeller les pouvoirs publics. « On a même vu des lobbyistes de Monsanto aller au secours de l’aviation », observent les auteurs du rapport. L’Association internationale du transport aérien (IATA) a ainsi fait appel à l’un des partenaires historiques de la firme agroalimentaire, FleishmanHillard, un groupe spécialisé dans la réputation des entreprises — impliqué, d’ailleurs, dans le scandale des « Monsanto papers ».
- « Les industriels ont mobilisé tous les leviers d’influence à leur disposition », notent les auteurs du rapport.
Même si ces manœuvres se sont jouées en coulisses, quelques traces visibles témoignent de cette effervescence. Plusieurs documents ont fuité dans la presse comme la lettre du Medef dénonçant le délit d’écocide ou celle de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania) — le lobby de l’agroalimentaire — contre l’interdiction de la publicité pour la malbouffe.
En parallèle, une multiplicité d’événements ont été organisés par les industriels. Des parlementaires et des membres du gouvernement y étaient évidemment conviés. Dès juin 2020, quelques jours à peine après la publication des propositions de la Convention, la société M&M Conseil a lancé une série de rencontres autour de « la transition », réunissant élus et industriels. En septembre, BASF (agrochimie) et Coenove (gaz vert) ont financé un colloque sur « l’accélération écologique ». Ce qui leur a permis, avec le syndicat agricole majoritaire la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), de dialoguer avec des parlementaires chargés d’examiner le projet de loi. Deux semaines plus tard, Total vantait le mérite des agrocarburants dans une rencontre similaire.
En novembre, alors que la France était confinée et que les mesures phares de la Convention n’étaient pas encore arbitrées au sein du gouvernement, plusieurs événements professionnels ont eu lieu. Au Paris Air Forum, Thales, Airbus et surtout Safran ont défendu la cause de l’avion décarboné. Des « états généraux de la communication » se sont également déroulés sous la houlette de Havas pour évoquer le thème de la publicité. Mercedes Erra, la présidente exécutive, s’est alors félicitée d’être « parvenue à convertir les politiques ». Quasiment toutes les mesures concernant la publicité ont été retirées du projet de loi.
Si ce lobbying a si bien réussi, écrivent les auteurs du rapport, c’est aussi parce que les professionnels ont pu compter « sans surprise » sur l’administration elle-même : « Les industriels ont cherché leurs principaux alliés dans les ministères. » Comme l’avait d’ailleurs révélé Reporterre en décembre dernier, les hauts fonctionnaires ont rédigé de nombreux rapports pour décrédibiliser les propositions des citoyens.
On a ainsi vu la Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) étriller l’idée d’une redevance sur les engrais azotés ou encore la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) surévaluer le coût de l’écocontribution sur les billets d’avion. Ces études ont été contestées pour « leur méthodologie rudimentaire » et leur partialité mais elles ont servi de base argumentaire aux industriels. « Le lobby est interne au gouvernement », affirme l’Observatoire des multinationales. Le ministre des Transports ne s’est-il pas lui-même opposé à « l’aviation-bashing » ? Le ministre de l’Agriculture ne s’est-il pas dressé contre l’« écologie de l’injonction » ?
« Hauts fonctionnaires, politiques et industriels se côtoient au jour le jour », observent les auteurs du rapport. Selon eux, la similitude de leurs profils sociaux et professionnels, leur recrutement dans les mêmes écoles, ou encore les « portes tournantes » entre privé et public expliquent la situation actuelle et les levées de boucliers au sein même de l’État.
La bataille est fondamentalement idéologique. Elle se joue dans les imaginaires. À partir de juin 2020, date du dépôt des propositions des citoyens, « une sorte de guérilla anti-écolo a été orchestrée par les milieux d’affaires et leurs soutiens », puisant dans des clichés anciens — comme celui de la « lampe à huile » ou encore celui des « Amish ».
La virulence des propos reste néanmoins sans précédent. Elle est à la mesure de l’inquiétude des industriels. Dans une tribune au Figaro, Olivier Babeau, le président du très néolibéral institut Sapiens critiquait une Convention devenue « le porte-voix des élucubrations écolo-totalitaires les plus folles ». Dans Le Point, un journaliste proche de l’industrie automobile est même allé jusqu’à comparer les propositions sur les SUV à l’obligation de porter l’étoile jaune.
« Un seuil a été franchi », remarquent les auteurs du rapport. Les postures se sont radicalisées. BASF, le fabricant de pesticides, parle désormais de « populisme écolo », Christiane Lambert, la patronne de la FNSEA, de « complot ».
Les industriels millionnaires n’ont pas hésité non plus à se faire les porte-parole autoproclamés des masses populaires, défendant « la liberté du consommateur » via des associations comme 40 millions d’automobilistes — financée au deux tiers par de grandes entreprises. Certains lobbyistes ont poussé le confusionnisme jusqu’à accuser les cent cinquante citoyens de « conforter le clivage entre la France déclassée et celle des métropoles ». Mais comme le note l’Observatoire des multinationales, on est en droit de supposer que les citoyens tirés au sort sont bien plus représentatifs de la France périurbaine que ces professionnels habitués des cabinets ministériels.
Ces paroles ont néanmoins trouvé un fort écho dans la presse de droite, souvent détenue par des hommes d’affaires. Selon les auteurs du rapport, la séquence médiatique a agi comme « un rouleau compresseur » qui a écrasé « les ambitions réformatrices ».
En plein journal de 20 heures, le chroniqueur de TF1 François Lenglet a critiqué « un voyage vers la décroissance ». « Ce que vise la Convention, c’est revenir à l’économie du confinement à perpétuité », a-t-il assuré. D’après l’Observatoire des multinationales, la chaîne TF1 — dont la famille Bouygues est propriétaire — aurait elle-même fait du lobbying, via le cabinet Boury Tallon, contre les propositions des citoyens sur la publicité.
Sur les plateaux télévisés, la discussion politique contradictoire a cédé la place à l’invective. Pendant plusieurs semaines, les « experts » n’ont cessé de se plaindre du « fanatisme écolo » et « des Khmers verts ». « On a assisté à une dégénérescence du débat public pour le plus grand profit des industriels », juge l’Observatoire des multinationales, qui dénonce également des conflits d’intérêts.
« Beaucoup des journalistes et des chroniqueurs qui ont pris position contre les préconisations des "citoyens" cumulent leur travail régulier avec des prestations rémunérées (régulières ou occasionnelles) pour le compte du secteur privé », remarque-t-il.
Ce lobbying intense inquiète les auteurs du rapport. Ils y voient « un tournant libertarien », qui rappelle « les stratégies déployées par les industriels aux États-Unis ». Selon eux, cette évolution explique « le degré supplémentaire de violence observé dans les discours et la proximité, plus ou moins assumée avec l’extrême droite ». Par exemple, le délégué général de 40 millions d’automobilistes est intervenu sur le site conspirationniste Boulevard Voltaire pour enfoncer la Convention citoyenne. Le chroniqueur proche du transhumanisme Laurent Alexandre et Olivier Babeau, de l’Institut Sapiens, se sont rendus avec le journaliste du Figaro Ivan Rioufol à la Convention de la droite de Marion Maréchal. Contre le climat, une nouvelle alliance se profile. Un agglomérat mêlant conservatisme et défense du business as usual. Comme l’écrit l’Observatoire des multinationales, « leur influence apparaît plus que jamais comme un obstacle à toute réelle action climatique ».
C’est maintenant que tout se joue…
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