Huiles de THC, effets méconnus, décès aux Etats-Unis… Faut-il arrêter de vapoter ?
DECRYPTAGE L’Europe semble pour l’instant échapper à une crise sanitaire qui pourrait être liée à des huiles de THC, mais les effets à long terme de la cigarette électronique restent méconnus
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- Sept patients sont décédés aux Etats-Unis et plusieurs centaines d’autres ont été hospitalisés pour de graves maladies pulmonaires. Tous avaient vapoté.
- La question est donc plus que jamais posée : toutes les cigarettes électroniques sont-elles dangereuses pour la santé ?
- 20 Minutes fait le point avec Anne Melzer, pneumologue et tabacologue de l’université du Minnesota.
Quand les médecins de l’hôpital pour enfants du Wisconsin ont examiné la radio des poumons d’un adolescent admis en juin dernier, ils ont cru à un cancer. Ils étaient cependant face à une pneumonie interstitielle anormalement étendue. Depuis, sept patients sont décédés aux Etats-Uniset plusieurs centaines d’autres ont été hospitalisés pour de graves maladies pulmonaires. Tous avaient vapoté – pour la plupart des huiles de THC, la substance active du cannabis, mais pas uniquement. Face à cette « urgence sanitaire », à laquelle l’Europe semble pour l’instant échapper, l’Etat de New York a décidé mardi d’interdire les cigarettes électroniques aromatisées et Donald Trump veut faire de même au niveau fédéral.
Alors que ce mercredi, une première hospitalisation a été signalée au Canada, faut-il en déduire que toutes les cigarettes électroniques sont dangereuses pour la santé, et doit-on poser la question des effets du vapotage sur le long terme ? 20 Minutes fait le point avec Anne Melzer. La pneumologue et tabacologue de l’université du Minnesota est catégorique : « En attendant d’avoir davantage d’informations sur la sûreté des e-liquides et des cigarettes électroniques, il est très fortement recommandé d’arrêter de vapoter. »
Que se passe-t-il aux Etats-Unis ?
Le premier cas de pneumonie liée aux cigarettes électroniques semble remonter à 2015, mais il n’avait pas été signalé aux autorités. La crise sanitaire a explosé au cours des six derniers mois, avec 7 décès et près de 400 hospitalisations dans 36 Etats. Les médecins ont identifié plusieurs types de pneumonies qui ont conduit, dans les cas les plus graves, au syndrome de détresse respiratoire aiguë, un état d’inflammation des poumons souvent fatal. A l’exception des sept personnes décédées, « la plupart des patients ont vu leur état s’améliorer avec un traitement aux corticostéroïdes. Mais certains pourraient avoir des dommages permanents aux poumons », avertit Anne Melzer.
Quel est le principal suspect ?
Dans le Wisconsin et l’Illinois, quatre des cinq personnes décédées avaient vapoté de l’huile de THC. A ce stade, le CDC (centre pour le contrôle et la prévention des maladies) continue d’enquêter pour déterminer le ou les facteurs en cause. A New York, les autorités s’intéressent particulièrement à un composé, l’acétate de vitamine E, présent dans ces huiles de THC mais absent des cigarettes électroniques à la nicotine. Selon Anne Melzer, c’est « un suspect logique » mais pas forcément le seul : plusieurs patients ont assuré qu’ils n’avaient pas vapoté de THC. « Même avant cette crise, on a vu chez des vapoteurs de nicotine des cas de pneumopathie à éosinophiles aiguë, avec les poumons remplis par une inflammation allergique. J’ai moi-même traité un tel patient l’an dernier, qui n’utilisait que des e-cigarettes à la nicotine pour arrêter de fumer », précise Anne Melzer.
Si le phénomène est récent, les marques établies sont-elles plus sûres ?
Les autorités new-yorkaises ont signalé des emballages colorés commercialisés sous le nom de Dank Vapes. Mais cette « marque » ne correspond à aucune entreprise légitime et semble être distribuée dans la rue et sur Internet. Il existe en effet aux Etats-Unis un vaste marché « underground » vers lequel se tournent souvent les mineurs. « Le caractère récent du phénomène semble suggérer que les marques plus anciennes [comme le leader de la cigarette électronique Juul] sont sans doute moins concernées », concède l’experte. Mais il est, selon elle, possible qu’il y ait eu des cas plus anciens qui n’aient pas été identifiés.
Que trouve-t-on dans la « vapeur » ?
Même si le terme – et le marketing – font croire à certains qu’ils ingèrent de la vapeur d’eau, il n’en est rien. Graisses, métaux lourds, arômes artificiels, nicotine ou THC… Cette « vapeur » est un cocktail de produits chimiques. « Le propylène glycol est utilisé en cosmétique, dans l’alimentation et comme base de l’antigel. La glycérine végétale pour faire du savon, du dentifrice ou des explosifs », précise Anne Melzer. Ces composés « ne sont pas censés être inhalés car ils sont toxiques pour les poumons ».
Que se passe-t-il dans les poumons ?
L’organisme dispose de cellules immunitaires macrophages chargées de nettoyer ce que l’on respire, notamment les lipides. Mais pour des « raisons encore assez mal comprises, ce mécanisme peut provoquer une inflammation massive » des poumons, détaille la chercheuse. Les alvéoles pulmonaires se remplissent de sécrétions et les poumons ne peuvent plus assurer l’oxygénation du sang. Cela peut conduire au syndrome de détresse respiratoire aiguë.
Que dit l’Organisation mondiale de la santé ?
Le consensus chez les scientifiques, c’est que pour un fumeur, vapoter est sans doute moins nocif que de griller une cigarette, car il évite d’ingérer des substances cancérigènes. Mais moins dangereux ne veut pas dire sans danger. A ce stade, « il n’y a pas assez de preuves pour quantifier le niveau précis de risque », indiquait un rapport de l’OMS en juin dernier. Qui se terminait ainsi : les cigarettes électroniques « sont incontestablement nocives et devront être régulées ».
Vapoter est-il moins dangereux en France ?
Pour l’instant, la crise semble principalement toucher les Etats-Unis. La composition des e-liquides est bien plus réglementée en France – où les huiles au THC ne sont pas autorisées. Les liquides doivent être enregistrés auprès de l’Agence nationale de sécurité sanitaire six mois avant leur commercialisation. Malgré tout, Anne Melzer appelle à la plus grande prudence : « Certaines études suggèrent qu’il existe un risque accru d’AVC et de crise cardiaque. Il y a une exposition accrue à des produits chimiques connus pour être liés à certains cancers, sans parler des effets sur les poumons ». La réalité, selon elle, c’est qu’on « n’a presque aucune information sur les effets à long terme du vapotage. » Il est impératif, selon elle, que les plus jeunes ne jouent pas les cobayes.